1874 – 1958
D’après l’article du Lien n° 7 de juin 1979.
L’enfance
Il est né le 7 octobre 1874 à Fort-du-Plasne, dans la “maison paternelle” comme disait son père, au bout du village. Cette demeure appartient à présent, aux descendants de la branche aînée. Le père de Numa, Jules, était le cadet de Pierre. Il était cordonnier. C’était un homme sage, modéré, intelligent. Il tenait les comptes de la fromagerie. On le consultait volontiers. La mère, Clémence Barraux, avait fait des études de sage-femme à la maternité réputée de Bourg-en-Bresse où on aurait voulu la garder. Ce devait être une femme originale si l’on en juge par les prénoms donnés à son fils : Numa, Dosithée à un neveu. Elle était du Coin d’Aval où le jeune ménage était venu s’installer quand l’enfant n’avait que quelques années. Ses souvenirs ne remontaient pas au-delà.
En 1888 il a 14 ans. Son enfance est partagée entre l’école où il a toujours gardé de la vénération pour le maître, Monsieur Humblot (enterré à Fort-du-Plasne, la commune reconnaissante lui a fait édifier un tombeau) et la vie au plein air, en toute liberté. C’est là qu’est né son attachement viscéral pour la nature et pour son pays.
La mort de sa mère, à l’âge de huit ans, ne semble pas l’avoir atteint. Elle disparut très jeune à la suite d’une course au village des Planches où elle avait été appelée pour un accouchement. Elle s’y était rendue sur un traîneau découvert alors qu’il gelait “à pierre fendre”. Numa a été élevé par son père et sa grand-mère maternelle qui tenaient le petit train de culture. C’est pour sa marraine qu’il a eu les sentiments d’amour filial. Très gâté, n’a certainement jamais connu la faim ou le froid et fut élevé dans la tendresse.
Comme il était très bon élève, et pour satisfaire au vœu de la défunte, on lui fit continuer ses études. En avril 1886, il s’est rendu à Lons-le-Saunier à pied, dans une journée, avec son père pour l’examen des bourses (événement mémorable). Il fut reçu deuxième du département, mais n’eut pas de bourse parce que son père était républicain, ce qui déplaisait aux parlementaires du cru. Du coup, il n’est pas allé au lycée (c’eût été trop cher), mais à l’école primaire supérieure de Champagnole.
Les études
De 1888 à 1891 : scolarité à Champagnole. Il faisait les trajets à pied quand il revenait en vacances.
De 1891 à 1894 : admis à l’École normale d’instituteurs de Lons, il y travaille d’arrache-pied, se levant vers 2 ou 3 heures du matin. Il fut ensuite admissible à la sortie à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Ce demi-succès lui valut, le 7 octobre 1894, le jour de ses 20 ans, alors qu’il était dans les champs avec son père, une délégation à l’Ecole normale de Rodez. Grande expédition ! En cours d’année scolaire, il fut muté à celle de Belfort et finalement, fut reçu en 1895 à l’ENS de Saint Cloud.
De 1895 à 1896 : avant de commencer ses études supérieures, il fit son service militaire au 44ème régiment d’infanterie à Lons.
De 1896 à 1898 : les deux années à Saint-Cloud lui apportèrent la révélation culturelle de Paris. Tous ses loisirs se passaient au musée du Louvre et à la Comédie Française. Il y faisait la queue et ses grandes jambes lui permettaient une escalade rapide jusqu’au poulailler. Mounet-Sully était son “dieu”. Il possédait tout le répertoire et réussit à faire des économies en entrant à la clique, et même à en être le chef.
De 1898 à 1900 : Boursier à sa sortie de l’école, le professorat des écoles normales en poche, il fit un séjour deux ans en Allemagne à Munich (où la pinacothèque n’avait pas de secret pour lui), et en Autriche à l’École Normale de Wiener Neustadt près de Vienne où le musée fit aussi ses délices.
À son retour en France, il fut reçu au certificat d’aptitude à l’enseignement de l’allemand et nommé professeur à l’École Normale de Mirecourt dans les Vosges où il enseigna de 1900 à 1903, jusqu’à son succès au concours de l’inspection primaire qui lui valut une nomination à Nantua à l’automne de 1903. Cette affectation, proche de son pays, en montagne où il circulait beaucoup à vélo l’enchanta.
Mariage et carrière :
Le 31 décembre 1903 : il fit la connaissance de Mademoiselle Monnin, professeur débutant à l’école supérieure de Saint-Claude, à sa sortie de Fontenay. Il la demandait en mariage le lendemain (il paraît qu’Edgar Faure fit de même) et l’épousait le 5 avril suivant. Une fille naissait à Nantua le 17 janvier 1905.
D’octobre 1905 à janvier 1908 : inspecteur primaire à Gray où, adoré du personnel, il fut particulièrement heureux dans l’exercice de ses fonctions.
En janvier 1908 : commença sa carrière de directeur d’École normale à Belfort, jusqu’en 1921, puis à Besançon où il prit sa retraite en 1936.
En 1912 : naissance son fils qui devait être tué en 1940.
A Belfort, le très actif intermède de la Grande Guerre. (Sur Numa Magnin à Belfort et la naissance du personnage de La Bique)
Les directeurs d’École Normale étaient mobilisés dans leur établissement transformé en caserne.
Le 7 octobre 1914 : jour de ses 40 ans, c’est-à-dire de son entrée dans l’armée territoriale, mourrait le directeur départemental de l’enseignement primaire (inspecteur primaire). Il en cumula alors les fonctions avec la charge de son établissement (ainsi que pour le petit morceau d’Alsace reconquis, autour de Thann) jusqu’à la fin des hostilités.
Il a toujours exercé son métier avec un grand dynamisme, organisant des voyages, pour les enseignants ou ses élèves – en un temps où on ne sortait guère des établissements d’enseignement – des fêtes et négociant des mariages de collègues tout en militant à la Ligue des Droits de l’Homme et à celle de la Moralité Publique.
Comme Jons Jéromine (livre d’Ernst Wiechert), il avait vocation de “remuer le monde”.
Il l’a simplement fait dans le cadre de ses fonctions universitaires et de sa province ; il n’avait pas l’échine assez souple pour rayonner plus loin.
Ses œuvres
D’abord des pièces de théâtre où il montra son sens de l’action dramatique, de la réplique.
Il faisait jouer ses pièces par ses élèves. La première, la plus populaire, la plus souvent représentée : “Les contrebandiers du Mont Noir“, a été écrite avant son mariage et donnée la première fois sur la place du village de Fort-du-Plasne par les habitants. Le théâtre de plein air l’attirait. Il rêvait d’employer à cet effet une clairière du Bois de Ban.
Puis, il y a eu :
Ma fille sera parisienne (contre l’exode rural),
Qu’il s’en aille (récit d’une cabale contre un instituteur de village),
Quand même (crise de conscience d’un instituteur laïc s’interrogeant sur la valeur de son effort),
Les quatre musiciens de la ville de Besançon (dans l’inspiration de ceux de Brême),
Le songe d’une nuit d’hiver d’un normalien (en marge du Faust de Goethe),
Trop parler nuit (pochade contre les enseignants qui “parlent trop, trop vite et trop fort”).
Il était passionné de musique vocale, mais fermé à celle des instruments, ce qui ne l’empêcha pas de faire monter à Besançon, par le professeur de musique de l’École normale, deux œuvres maîtresses de Beethoven : la messe en ré et la neuvième symphonie.
Les dernières années
La catastrophe en fut la mort de son fils en 1940, après laquelle il n’y avait plus de bonheur possible.
Il a résisté, décidé à “mourir debout” selon sa formule, grâce à la famille, en particulier les petits-enfants nés en 1933, 1937, 1940 et 1941, les amis, l’exercice d’une pensée demeurée intacte jusqu’à la fin, et la marche qui tenait tant de place dans sa vie. Quand il ne lui fut plus possible de marcher, il a préféré mourir, ce qui fut fait le 31 janvier 1958 après quelques semaines où il a envisagé ce départ avec lucidité.