La ferme du Grandvaux, comme toutes les maisons de culture du Haut-Jura, est une maison bloc dont les dimensions peuvent être très importantes : on sortait le moins possible durant la saison d’hiver et tout ce qui était nécessaire à la vie des hommes et des animaux se trouvait sous le même toit. Noël Gaillard en fait une description globale mais détaillée prenant en compte les contraintes climatiques, les matériaux disponibles et les activités humaines.
La maison du Grandvaux
par Noël Gaillard
Pour les bâtiments industriels et agricoles, la période d’après 1945 a amené de grands changements. Dans les deux branches, les bâtiments sont beaucoup plus importants. La mécanisation nécessite la création de vastes hangars pour loger le matériel. Et, bien souvent, les bâtiments deviennent, petit à petit, distincts de la maison d’habitation.
Autrefois, la maison renfermait à peu près tout : les gens, le bétail, les récoltes et le matériel. Mais bien souvent, il y avait à proximité, de petites remises, souvent, en bois, servant à loger le bois de chauffage, du matériel, etc. et le boîtet à cochons. La plupart de ces “cabeutons” assez disgracieux ont disparu dans les dernières décennies.
Si l’on se reporte à l’ouvrage de Lequinio, on a une description assez précise des maisons de culture du Grandvaux qui sont encore très nombreuses, mais beaucoup ont été agrandies notamment en prolongeant la base du toit. Toutefois, je reste perplexe sur 3 points, qui étaient peut-être exacts à l’époque en question (la fin du XVIIIe siècle, ndlr), mais j’en doute beaucoup. Lequinio parle de bâtiments carrés ayant de 60 à 120 pieds de côté (soit 20 à 40 mètres) Il donne ensuite une hauteur au pignon assez courante de 60 pieds (20 mètres) ; et enfin, il signale que les caves sont rares. Vous pourrez donc vérifier vous-même sur les maisons portant une pierre datée d’avant 1802.
Ensuite, pleinement d’accord avec lui. Il y a généralement deux écuries bien souvent séparées par la grange à foin. Il est courant que la petite écurie soit réservée aux chevaux et à des veaux ou des “génissons“. Elle est généralement proche des logements et occupe une place plus faible que ceux-ci dans le sens de la largeur du bâtiment.
La partie comprise entre cette petite écurie et la porte de sortie se nomme le “nouvâ” où l’on suspendait les harnais des chevaux
Dans beaucoup de maisons, la cuisine précédait ce qu’on appellerait aujourd’hui la salle de séjour. Ces deux pièces avaient un nom plus répandu dans le Nord que dans le Sud du Grandvaux. Pour la cuisine, c’était “l’euta” et pour la salle de séjour le “poêle“. Dans la cuisine, au ras du sol était une grande surface bétonnée ou en pierres plates appelées “laves” où l’on pouvait faire le feu sur des chenets ainsi que dans un fourneau à 4 marmites.
À la séparation de la cuisine et de la pièce mitoyenne, une ouverture laissée dans la maçonnerie était fermée par une plaque métallique qui transmettait la chaleur de la cuisine à la pièce voisine, sans fumée. Je me souviens très peu d’y avoir vu une crémaillère.
Les murs de la cheminée ne partaient du sol que sur trois côtés. C’était au plafond qu’une énorme poutre en bois reposant sur 2 murs parallèles servait à supporter toute la maçonnerie du quatrième mur. Mais il arrivait que cette poutre, tout en reposant sur deux murs parallèles, se raccorde à une deuxième poutre transversale entre les 2 murs en question. Il y avait donc 2 murs perpendiculaires allant du sol au sommet de la cheminée et 2 autres s’appuyant sur les deux poutres en question. Il n’y a presque pas, au Grandvaux, à ma connaissance, de ces cheminées en bois munies de volets au sommet qu’on pouvait manœuvrer depuis le rez-de-chaussée, comme c’est le cas dans le Haut-Doubs où on les appelle des tuyés. Je n’en connais qu’une seule au lieu-dit la Maréchette, mais il peut y en avoir d’autres.
Par contre, je vous en citerai au moins une où les poutres en bois sont remplacées par d’énormes pierres de taille. L’une mesure 3,30 m de long, 0,15 m de large, 0,64 m de haut ; l’autre mesure 1,10 m de long, 0,15 de large, 0,64 m de haut. Toutes deux ne reposent qu’à une seule extrémité dans un mur de 0,65 m d’épaisseur. A l’autre bout, elles s’emboîtent l’une dans l’autre, sans aucun support vertical. Elles se tiennent ainsi en porte-à-faux depuis un temps immémorial sans broncher avec plusieurs mètres de maçonnerie sur les épaules. Je ne vous désignerai cette maison que de vive voix sans la mentionner par écrit car ses habitants risqueraient d’avoir trop souvent des visiteurs inattendus.
Il existe aussi encore aujourd’hui dans bien des maisons l’ancien four à pain, tout proche de la cheminée qui, bien souvent, traversait un mur de part en part et se terminait généralement dans le “nouvâ” ou dans l’écurie des veaux.
Bien des gens mettaient fumer les saucisses et les jambons dans la cheminée et, aussi surprenant que ceci puisse paraître, il y avait rarement un feu de cheminée détruisant jambons, saucisses et poutres en bois.
Je vous dirai 2 mots aussi des plaques métalliques qui transmettaient la chaleur de la base de la cheminée à la chambre mitoyenne. Elles étaient en fonte et mesuraient environ 0,90 m sur 0,75 m (en moyenne). La plupart étaient datées, souvent d’avant 1789 et portaient des fleurs de lys en relief. Chez un de mes voisins, elle date de 1734.
Une autre particularité des habitations du Grandvaux, maisons de culture ou simples habitations, était la présence de tallevanes en tavaillons, puis, par la suite, en fer-blanc ou en fibrociment.
- Pourquoi, me demande Lucien, étaient- elles courantes au sud et presque toujours inexistantes sur les autres façades ?
- Je vois que tu observes ; en effet, les tallevanes sur les autres façades sont très rares. J’en connais pourtant au moins à deux endroits :
À Salave, chez Raymond Balmer, sur deux faces côtés sud et ouest en tôle. L’ancien presbytère de Fort-du-Plasne où il y a une tallevane en tôle au sud et une autre à l’est en tavaillon encore en relativement bon état.
Les tallevanes sont donc presque toujours au sud car c’est de la que vient presque toujours la pluie qui dégradait autrefois les crépissages à la chaux. Il y a peut-être aussi un autre motif qui contribuait à la dégradation surtout du mur sud plus que du mur nord. Au nord le mur gèle dès les premiers froids de l’hiver et reste gelé une bonne partie de l’hiver. Par contre, au sud, il y a de nombreuses journées d’hiver où il gèlerait toutes les nuits pour dégeler tous les matins et ces alternances répétées s’ajouteraient facilement, je suppose, aux dégâts de la pluie.
Vous remarquerez aussi que, pour la plupart des maisons anciennes, le sommet du toit avait son axe dans la direction sud-ouest – nord-est. Le vent et la bise avaient moins de prise et, pourtant, à la seule exception du Lac des Rouges-Truites, c’était l’inverse pour les églises. Tradition oblige..
- Les tallevanes en tavaillon, demande Georges, pourquoi avaient-elles été abandonnées progressivement ?
- D’abord le risque d’incendie d’autant plus qu’autrefois les pompiers ne pouvaient pas être prévenus par téléphone et se déplacer aussi rapidement qu’aujourd’hui (1). Si une façade bien sèche en tavaillon prend feu par la base un jour où ça souffle, même avec la rapidité des moyens actuels, elle ne doit pas mettre longtemps pour être anéantie et propager le feu. Peut-être aussi la durée prévisible de la tôle et celle connue du tavaillon, et, peut-être aussi le manque progressif d’ouvriers expérimentés.
- Il fallait savoir choisir le bois (épicéa de bonne veine), le couper à la bonne lune, savoir le fendre en lamelles d’épaisseur régulière et enfin le poser correctement en croisant les lamelles à intervalles réguliers dans le sens horizontal et dans le sens vertical. Quand on le voit faire, ça semble enfantin, mais c’est au pied de l’échafaudage qu’on voit l’ouvrier compétent.
Ici, au Grandvaux Sud, je ne connais, comme ancien professionnel, que Monsieur André Belbenoit de Prénovel, mais vu son âge, il n’exerce plus. Par contre, à Chapelle-des-Bois, un jeune s’est lancé récemment : André Burri.
En ce qui concerne les bâtiments agricoles ou industriels de construction récente, il n’y a pas un “style grandvallier”. On peut trouver les mêmes un peu partout, notamment en préfabriqué.
- Vous nous avez parlé aussi des “boîtets” à cochons. Quand on a fait le stage de groupe à Lélex, on a vu beaucoup de ces cabanes, mais généralement plus éloignées des maisons et certaines avaient même un plus bel aspect qu’au Grandvaux.
- C’est exact, mais ces constructions ne servaient pas à loger les cochons. On y logeait surtout des objets de valeur car on n’y faisait jamais de feu et, ainsi en cas d’incendie de la maison, tout n’était pas anéanti. C’étaient, en termes du Haut Jura, des “greniers forts” construits avec beaucoup de goût et Monsieur Marc Forestier a fait toute une brochure à leur sujet : assemblages du bois, ferrures enjolivées, serrures à clefs de haute qualité, etc. (Secrets du grenier fort, Marc Forestier, Lajoux 1984. Ndlr.)
Il est même surprenant que ces gens, réputés misérables aient possède des bijoux ou autres objets de valeur justifiant l’existence de ces “greniers forts”.
- Leur absence au Grandvaux correspondait-elle à une situation encore plus misérable?
- C’est très possible. Ce qui mérite d’être constaté, c’est l’existence autrefois de toutes ces baraques en bois et appentis adossés aux maisons qui laissent penser à des périodes assez longues où les gens n’avaient pas les moyens financiers de construire des agrandissements en maçonnerie d’un aspect plus agréable.
Ils faisaient du provisoire avec les matériaux et les assemblages les moins coûteux et selon une formule courante, le provisoire était souvent prévu pour une très longue durée en attendant de faire mieux avec d’autres moyens financiers. Et comme le disait, Laetitia Bonaparte (mère de Napoléon 1er) : “Pourvou que çà dourre”.
- Vous nous avez parlé du tavaillon qui après un abandon à peu près total semble vouloir renaître, me dit Georges. S’agit-il uniquement de travaux d’entretien de vieilles toitures et tallevanes ?
- Il y a, évidemment de la restauration, mais aussi du neuf. Tiens, il suffit de regarder par la fenêtre, à 200 ou 300 mètres d’ici, un hôtel tout neuf : “Lou Granva” a été entièrement couvert en tavaillon ; mais il peut y avoir dans le Grandvaux d’autres cas que j’ignore.
La tuile est surtout le mode de couverture qui domine, suivi par la tôle galvanisée. Le fibrociment est quelquefois employé en façade mais très rarement en toiture. L’ardoise est assez rare (L’église de Prénovel était couverte en ardoise de Maurienne entre 1880 et 1930. Ndlr).
Et, puisqu’on parle des toits, vous avez pu remarquer que presque toutes les maisons anciennes sont à deux pans avec parfois, aux extrémités, un “pan rabattu” perpendiculaire. La pente est généralement suffisante pour que la neige s’évacue mais, maigre tout, il arrive qu’un “dépellage” soit nécessaire. On se trouve même confronté maintenant à un problème inexistant autrefois pour les maisons bordant les routes importantes. Elles avaient généralement été construites à une distance suffisante pour que la neige des toits ne tombe pas sur la route. Les routes ont ensuite été élargies et bien des propriétaires sont placés devant un problème insoluble : poser des barres a neige sur le toit pour éviter des chutes brutales de neige sur un piéton ou un véhicule de passage ; mais se trouver dans l’obligation de “dépeller” le toit certains hivers n’est pas toujours une petite affaire, surtout dans les maisons habitées par des personnes âgées ou des femmes seules.
Il me reste à vous parler des autres matériaux de base.
C’est le sapin (ou l’épicéa) qui est à peu près toujours employé en charpente. On trouve fréquemment dans les vieilles maisons des poutres équarries à la hache en position verticale qui descendaient jusqu’au sol et sur lesquelles reposait la charge principale du toit.
Autre particularité : des poutres horizontales à l’état brut ou grossièrement dressées constituaient une séparation horizontale entre deux niveaux. Un plafond était cloué dessous et au-dessus, les intervalles étaient garnis de gravats, ce qui constituait une protection contre le froid. De plus les rats ne pouvaient pas s’installer entre les poutres.
Pour les murs, on trouve aussi bien de la belle pierre taillée que de la vulgaire maçonnerie ; mais les murs étaient généralement assez épais pour défier le temps même avec un mortier à la chaux de qualité médiocre. Il fallait aussi que cette chaux soit souvent produite à proximité par calcination de la pierre.
Bien des maisons étaient construites près d’une source. Pour d’autres, il y avait des puits artificiels montés par des hommes de métier spécialisés. Ils se montaient sur un terrain “gouttu” ; les pierres étaient légèrement espacées et seul, le toit avait la forme d’une voûte étanche et robuste. C’était l’eau du sol voisin qui s’y amassait. D’autres puits artificiels, totalement étanches par contre, étaient alimentés par l’eau du toit (Les citernes. Ndlr).
J’ai “entendu dire” que pour certaines maisons, on commençait le bâtiment par la charpente et le toit afin d’avoir de l’eau immédiatement pour brasser le mortier. Je ne me souviens pas de l’avoir vu ; c’est possible mais cela présentait un risque grave en cas de vent violent survenu avant la construction des murs. Par contre, les maçons étaient à l’abri pendant toute la durée des travaux.
C’est à peu près tout ce que je pense avoir à vous dire sur l’eau, le climat du Grandvaux et leur influence partielle sur l’habitat.
En dehors de cette influence, les gens savaient aussi tirer parti de la disposition du sol pour réduire certains travaux ; il s’agit des “granges dessus“.
Lorsque l’emplacement s’y prêtait, la grange était surélevée et les voitures de foin y accédaient par un “pont“. Ce pont était parfois constitué par deux murs parallèles en pente avec remplissage de pierres. Ailleurs, ces deux murs étaient réunis par une voûte sous laquelle on pouvait mettre quelques outils, du bois, etc. Je vous conseille d’aller voir celui d’une ancienne maison de culture aux Jannez. La maison est bâtie au pied d’un petit coteau ; des poutres en bois horizontales partent du chemin et aboutissent à la maison en laissant au- dessous un vide de 6 métres de long et environ 5 mètres de haut. L’espace vide entre la maison et le coteau est soutenu par d’énormes pierres rectangulaires et le pont en question est couvert, et peut servir, en dehors des périodes de rentrée de foin à tout autre usage. C’est le seul que je connaisse de ce modèle au pays mais il peut y en avoir d’autres.
Noël Gaillard, extrait de son “Histoire du Grandvaux”, ouvrage non diffusé mais consultable à la bibliothèque de l’association.
(1) Dès la fin du XIXe siècle, les communes se sont équipées en moyens de lutte contre l’incendie : pompes à bras montées sur roues, lances, tuyaux de cuir, le tout abrité dans des remises en pierres à raison d’une par hameau. Des citernes de plusieurs dizaines de mètre cubes alimentée souvent par une source permettaient de disposer d’une réserve permanente.
Ce matériel existe encore dans plusieurs communes tandis que les remises ont presque partout subsisté. (Ndlr)