vu par les écrivains
Gilbert Cousin de Nozeroy en 1550
Description de la Franche-Comté de G. Cousin traduite pour la première fois par Achille Chéreau Publication de la Société d’Émulation du Jura – Lons le Saunier 1863
“Après vient le Grandvaux, semé de tant de villages qu’il y en a presque à chaque pas, et où l’on voit trois lacs très poissonneux, dont l’un a emprunté son nom au pays lui-même; le second et le village qui l’avoisine, a été appelé le Lac des Rouges-Truites, à cause de la grande quantité de ce poisson qu’il nourrit; le troisième, enfin, a été baptisé du nom de l’Abbaye, qui est la métropole de Grandvaux. Tout proche on aperçoit un bourg appelé le Voisinal.
On tient en grande estime les chevaux au pas d’emble de ce pays. Les chiens y sont très féroces).”
Joseph-Marie Lequinio en 1800
Lequinio de Kerblay (Sarzeau 1755 – 1814), après des implications révolutionnaires mouvementées, parcourut le Jura à la fin du XVIIIe siècle et publia son “Voyage pittoresque et physico-économique” à la fin de l’année 1800. Ses observations sont précises et intéressantes car sans parti-pris et teintées d’une vision philosophique humaniste.“Vous montez encore et vous arrivez bientôt dans un grand et riche village, appelé Saint-Laurent ; il se trouve au milieu d’une vaste plaine élevée sur une éminence légère, et, sur cette éminence, il se dégage au milieu des hautes montagnes qui bornent clé tout côté la plaine au centre de laquelle il est assis.
Un quart d’heure avant d’arriver à ce village vous aurez à remarquer de très grands bâtiments sur la droite ; vous êtes au pays de la misère, et les chaumières y sont inconnues ; la nature ne vous offre, pour ainsi dire, que des sapins et des rochers ; l’industrie ne vous présente, pour ainsi dire, que des châteaux. Ces bâtiments sont de forme carrée, comme dans toutes les hautes montagnes du Jura ; les plus petits ont soixante pieds sur chaque face et beaucoup en ont cent vingt : soixante pieds de pignon n’est pas une hauteur extraordinaire ; et c’est presque toujours dans les pignons que sont percées les fenêtres des logements des hommes ; sur les faces ou longères, sont ouvertes plusieurs portes arrondies, en forme de portes cochères, pour donner entrée facile aux voitures ; elles sont de grandeur inégales ; et la plus haute, qui donne issue dans la grange, est construite ainsi pour laisser entrer les voitures sans les décharger.
L’intérieur de ces maisons se partage en plusieurs sections par de fortes cloisons de sapin, solidement attachées à des piliers du même bois, qui s’élèvent jusqu’au faite, et qui soutiennent la charpente et le toit. La section qui touche au pignon se sous divise pour le logement des hommes, et le plus communément elle a des chambres hautes ; le tout est plancheyé solidement, sur tous les sens, en bon sapin.
La seconde section est ordinairement l’écurie des chevaux ; la grange vient ensuite ; elle est pavée très proprement de belles dalles en pierre, taillées en carré long ou bien elle est revêtue d’un plancher composé de madriers de sapin, plutôt que de planches : c’est sur ce terre-plein, de pierre ou de bois, que le fléau écrase les épis, et fait chaque jour sortir du grain, à mesure seulement que la consommation et les besoins l’exigent, et sa surface est tellement unie , qu’un homme de force médiocre y fait rouler, seul, une voiture encore chargée.
La section d’après est destinée pour les bêtes à cornes et souvent il vient encore après à l’usage des hommes une autre section percée, bâtie et distribuée comme la première. Au-dessus des écuries et de la grange se logent les foins et les bleds en paille ; car l’habitude de battre et moudre à mesure des besoins journaliers, n’exige pas des greniers pour les bleds en grain ; le vin, le lait et le fromage, se déposent ordinairement au rez-de-chaussée, les caves souterraines sont rares dans ces vastes bâtiments.
Les râteliers des écuries se servent des deux côtés par l’intérieur de la grange où l’on soulève des trappes verticales de sapin, par lesquelles on introduit les fourrages, et qui forment une cloison quand elles sont refermées. Toutes les sections traversent le bâtiment d’une face à l’autre ; et l’on entre presque toujours en voiture sur un fort plancher au-dessus de la grange, par une pente douce qui est élevée contre la face postérieure ; c’est par-là que les bleds et les foins se déchargent des deux côtés, et cet espace encore sert, ainsi que la case inférieure où se bat le grain, à recueillir les voitures chargées, besoin beaucoup plus fréquent en ce pays comme on le verra bientôt, que ne le fit présumer le peu d’importance des richesses agricoles.
Aux dimensions que l’on a vues, l’on sent combien on peut renfermer de choses et loger d’êtres vivants dans ces édifices : au surplus, on ne sera point surpris de cette grande quantité de logement quand on saura qu’une pareille habitation renferme plusieurs ménages, et que son toit couvre plusieurs générations. L’état de servitude où ce peuple a vécu jusqu’à la révolution, sous la domination du chapitre de Saint-Claude, en le séparant de la société, dans l’ordre politique, avait chez lui concentré davantage le sentiment de parenté. Il y avait étroitement serré les liens de famille ; il y avait enfin établi le régime patriarcal qui existe peut-être nulle autre part en France.
Pères, mères, enfant, petits-enfants, arrière petit-fils, cousins et petits-cousins. tous demeurent ensemble ; c’est un arbre généalogique dont les branches ne se séparent qu’à la longue, et le patriarche vénérable, que la pureté de l’air et sa vie simple et frugale conduisent presque toujours fort sain au terme d’une longue carrière, a commandé longtemps sur de nombreux rejetons ; en mourant il ne quitte point la vie puisqu’il la voit autour de lui si multipliée ; son bras soutenu par l’amour paternel et par la reconnaissance filiale étend sa bénédiction sur un vaste cercle et c’est au milieu de sa postérité qu’il exhale son dernier soupir.
En dehors de ces belles habitations, bien rarement voit on des bâtiments secondaires ; l’appartement du peuple généreux qui nous fournit le miel, et dont je vais dire à l’instant quelques mots : le rucher et les lieux d’aisance, voilà communément les seules constructions détachées de l’édifice principal ; et c’est avec bien de la raison qu’on en isole le dernier, l’on évite par là le voisinage incommode et malsain de ses émanations et l’on tire plus aisément parti de ses dépôts, qui sont toujours un objet précieux dans ces pays où la terre est si peu substantielle, et qu’on, ne devrait nulle part autant le négliger qu’on le fait presque partout dans les campagnes. Dans tout l’ouest de la France les paysans n’ont point de latrines ; les alentours de leurs chaumières sont d’une malpropreté sans égale, l’air en est infect, et les pluies entraînent où l’atmosphère consomme en pure perte des substances très productives. Que n’imite‑t‑on en tout lieu, sur ce point, les hautes montagnes du Jura.”
Extrait de “Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura” par Joseph-Marie Lequinio, agent forestier. Pages 244 à 248 du tome 1. Ouvrage conservé à la BNF qui en a assuré la numérisation.
L’orthographe et la ponctuation ont été mises aux normes de 2011.
Auguste Bailly, écrivain Grandvallier en 1923
La Carcasse et le Tord-Cou, éd. Arthème Fayard .
“Le coin de France qui forme le cadre de ce récit est la région jurassienne à laquelle s’applique encore l’antique nom de Grandvaux. Rude plateau jeté vers le ciel sur les assises du Haut-Jura, coupé par les gradins parallèles de ses bancs calcaires, le Grandvaux offre une unité linguistique plus encore que géographique : c’est un ensemble de sept communes où se parle, – où se parlait, hélas! – le même patois. Dans les plus vieilles chroniques françaises, nous rencontrons les Grandvalliers. Toujours cheminant, le fouet au col, le feutre au vent, rouliers par goût et prédestination, ils parcouraient la France et faisaient redouter partout leur vigueur physique, peu âpre, leur esprit fondeur, sarcastique, rabelaisien. Les voies ferrées ne déshonorent le Grandvaux que depuis un quart de siècle. Avant d’être marqué par les aspects métallique de la civilisation, il gardait beaucoup de ses coutumes séculaires, et l’homme semblait s’y modeler, visage et pensée, sur les lignes de ce terroir sauvage, patrie du roc gris, du sapin rigide et du vent hurlant sur la neige accablante. J’ai tenté d’en fixer quelques traits en me rappelant le temps de mon enfance, quand la locomotive et l’automobile, nauséabonds symboles de notre âge, n’avait pas encore détruit la physionomie et l’âme des patries locales.”
Alice Decœur
“Une terre qui s’étale à près de mille mètres d’altitude, sous un ciel généreux, tout enveloppé de soleil et de vent. Évocation de champs monotones coupés de lignes caillouteuses, de tourbières sournoises où vit l’herbe fauve immuable, de maisons tapissées de gris et distancées le long d’une route pierrée. Étendues mornes et désolées pour celui que n’atteint ni la poésie, ni la mélancolie des choses, mais attachantes pour les rêveurs, pour ceux qui sont sortis de cette terre ou qui l’ont adoptée. […]
Et le fond du décor est la bordure sombre qui ferme le grand ciel, la ligne crénelée des Joux-Devant et Joux-Derrière, ces remparts frémissants qui furent de tout temps les défenseurs du Grandvaux. Gardiens farouches qui conservèrent à ce plateau et à ses habitants leur cachet d’originalité.”